Vivre selon les proverbes, 2ème partie… !
(Tableau de Tassos Kouris)
Le temps s’écoulant à la vitesse d’un cheval au galop, il est temps de vous mettre la suite de cet essai.
(Tableau Bruno di Maio)
[.Un problème similaire se posait pour la toilette matinale en vertu du principe qu’un vieil ami est le plus fidèle des miroirs :
(Tableau Steven Kenny)
mais avoir à sa disposition un vieil ami tous les matins n’était pas chose facile, à moins que deux très vieux amis de même âge n’aient décidé de se servir de miroir l’un à l’autre, ce qui, dès qu’il s’agissait d’utiliser un rasoir, n’allait pas sans provoquer de désastreux résultats.
La conversation était réduite à quelques rares monosyllabes,
(Tableau Alexej Ravski)
puisque le silence est d’or, que le silence se fait entendre, qu’à bon entendeur salut, qu’il n’entre point de mouches dans une bouche close, qu’il est bon de parler et meilleur de se taire, que l’on se repent d’avoir parlé mais jamais de s’être tu (et que l’on n’est jamais trop prudent). On savait en outre que lorsque le vin entre la raison sort,
(Tableau Fabrizio Riccardi)
que force vin trouble l’engin, que le vin réjouit le cœur de l’homme mais que vin et confession découvrent tout, qu’il se noie plus de gens dans le verre que dans les rivières et que les tavernes sont de dangereuses cavernes : on évitait donc toute rencontre conviviale – lesquelles, les rares fois où elles avaient lieu, se terminaient en rixes furibondes,
(Tableau Mike Davis)
car la meilleure défense reste encore l’attaque. Toujours en raison d’un autre principe erroné d’entraide mutuelle, les jeux de hasard étaient devenus impossibles,
(Tableau Christopher Ulrich)
car qui s’adonne au jeu de hasard se livre aux mains d’une aveugle (la fortune est aveugle…) mais il n’était pas facile de trouver une compagne aveugle pour chaque joueur, et il suffisait qu’un borgne fasse son entrée pour qu’il remporte la partie, puisqu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Les jeux d’adresse avaient eux aussi été prohibés, notamment le tir,
(Tableau Mike Davis)
la flèche revenant souvent sur celui qui l’a lancée.
Il était difficile de tenir un commerce, de quelque type que ce soit, et surtout une pâtisserie, car, en bonne illustration de la loi de l’arroseur arrosé, les pâtissiers recevaient sans cesse en plein visage les tartes à la crème qu’ils destinaient à leurs clients. Les marchandages dégénéraient en querelles désagréables puisque,
(Sculpture Greg Brotherton)
s’il est vrai que qui dénigre veut acheter, alors qui veut acheter dénigre, et lorsqu’un client entrait dans un commerce pour demander comment il se faisait qu’un tel « rebut » soit en vente, le commerçant répondait vexé : « rebut toi-même, ta mère est une maquerelle », provoquant une réaction que l’on désignait par « syndrome de Zidane ». Enfin, puisque chacun sait qu’il est toujours trop tôt pour mourir ou pour payer, les commerçants étaient peu à peu détruits par la morosité quotidienne et tenace de leurs clients.
(Tableau Dietmar Gross)
De toute façon, on travaillait fort peu : chaque saint avait sa fête, et comme il existait 365 jours de fêtes dans l’année (naturellement fête et danger passés, saint moqué), ces journées étaient consacrées bien évidemment à ripailler sans fin
(Tableau Peter van Oostzanen)
puisqu’on ne vieillit jamais à table (sans parler du jour de la saint Martin où le moût est vin). Ajoutons par ailleurs, que puisque de mes amis Dieu me garde et que de mes ennemis je m’en charge, on était même arrivé à supprimer toutes les forces armées.
La vie religieuse présentait d’égales difficultés : d’une part il était malaisé de reconnaître les prêtres car, l’habit ne faisant pas le moine,
(Montage Photo Worth)
les hommes de Dieu voyageaient constamment sous des dépouilles mensongères ; d’autre part il était déconseillé de prier à voix haute, puisque c’est dans le silence que Dieu parle.
L’administration de la justice n’était pas chose facile. On ne pouvait presque jamais prononcer de sentence puisque
(Caricature Sylvain Euriot)
faute avouée est à moitié pardonnée et qu’à tout péché miséricorde. Il était défendu de recourir à un avocat : un bon conseil n’a pas de prix, un bon juge doit être aveugle et manchot, et qui veut faire le bien ne prend pas de témoin (les seuls témoins entendus étant recrutés parmi les malades incurables, car de l’hôpital et du cimetière, on sort toujours plus sincère). On ne pouvait punir les délits commis contre les gens de sa famille (car chacun est maître chez soi) ; on n’enquêtait pas sur les homicides au travail et on considérait comme normal de tomber de haut, voire de très haut
(Tableau Luis Ricardo Falero)
(de grande montée grande chute, bien bas choit qui trop haut monte), mais pour les crimes les plus graves on avait recours à la négociation et il était possible d’éviter la peine capitale si on acceptait d’avoir la langue coupée (en la langue gist la mort et la vie ; un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès). On pratiquait parfois la décapitation
(Tableau Bruno di Maio)
puis avec cruauté, on essayait d’organiser des courses de vitesse entre les justiciers (qui n’a pas de tête a des jambes), sans résultats convaincants, bien évidemment. Ajoutons qu’il était difficile d’incriminer les coupeurs de bourse, lesquels, convaincus que plus fait douceur que violence, forçaient leurs victimes à leur abandonner leurs biens et leur argent sans user de force, mais de persuasion, pour se retrancher ensuite derrière l’excuse que c’était de plein gré que leurs victimes leur avaient obéi.
Mais de toute façon, on évitait de prononcer des sentences : qui n’entend pas sermon se moque du bâton. Pendant un certain temps on avait accepté le principe selon lequel, qui avait péché par l’épée devait périr par l’épée,
(Tableau Sergey Tuykanov)
et on avait institué la loi du talion, les peines étant infligées en public. Cette pratique avait donné de bons résultats pour des crimes tels que les homicides, mais elle avait aussi créé des situations embarrassantes lors du châtiment public des sodomites, et l’on avait donc abandonné cette coutume.
La désertion n’était pas considérée comme un délit car un soldat qui a fui peut combattre à nouveau, mais étrangement on punissait les individus qui écrivaient à l’encre sympathique car
(Tableau Mike Davis)
est bien d’âne de nature qui ne sait lire son écriture. On interdisait les images des défunts sur les tombes, car s’il est fréquent de revoir quelqu’un que l’on croyait mort mais qui ne l’est pas, nécessairement on ne reverra pas celui qui le sera effectivement. Enfin les juges étaient fort décriés sur la base du dit Premier Principe du Bandana* : il est avantageux de plaider quand on a tort (le Second Principe affirmant que petits voleurs aux galères, grands voleurs au palais) ».]
(Tableau Bruno de Maio)
Rappel:
Ce texte d'Umberto Eco, n'a pour seul but d'inviter les lecteurs à découvrir ses œuvres, je pense plus particulièrement "Au nom de la Rose" adapté au cinéma avec Sean Connery ou "Le pendule de Foucault".
Ne pouvant compter sur l’intelligence de mes deux neurones (Hue et Dia), qui sont une charge bien lourde à porter,
(Tableau Marcus Usherwood)
j’ai programmé ma collection de réveils, en espérant que ma surdité avancée ne m’empêchera pas de les entendre, afin de vous mettre la fin de ce superbe essai.
(Tableau Jacek Jerka)
Je vous invite à cliquer sur les tableaux pour en apprécier leur originalité.
A SUIVRE