Les funérailles d'antan!
Les trois âges et la Mort
Avec Les trois âges et la Mort, Hans Baldung Grien peignit une allégorie de la vie truffée de symboles. Allégorie de vie, malgré le paysage aride et desséché, malgré les trois femmes moroses de la naissance à la vieillesse, qui ne manifestent aucune trace de joie. La Mort tient d'une main un sablier, symbole traditionnel du passage du temps. Son bras enlace le bras de la vieille femme; elle l'entraîne vers l'autre monde. Néanmoins l'existence continue: la jeune fille est en âge de procréer et la lance que la Mort tient est un symbole de défloration clair. Elle engendrera un enfant, qui lui aussi grandira et se retrouvera au bras de la Mort. Toute chose subit les affres du temps, mais la nature renaît, recréant ainsi la beauté et la jeunesse et perpétuant le cycle de la vie.
Danse des morts.
Danse des morts: nom qu'au Moyen âge on donnait à une série d'images peintes ou sculptées représentant, entre gens de tout âge et de toute condition, des scènes où la Mort jouait le principal rôle, et dont les personnages affectaient tantôt les mouvements de la danse, tantôt une pose tranquille, mais toujours expressive. Les plus anciennes compositions de ce genre ne remontent pas au delà du XIVe siècle, et on en a exécuté jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Elles semblent avoir eu pour but de rappeler aux hommes leur égalité naturelle et la fragilité de la vie, d'offrir aux victimes de l'oppression cette consolante certitude que les auteurs de leurs maux devaient trouver à leur tour dans la mort un tyran implacable. Comme on les rencontre principalement dans les églises, les cloîtres et les cimetières, il y a lieu de penser qu'elles servaient de thème et venaient en aide à l'éloquence des prédicateurs. Les images lugubres et fantastiques, le mélange du sérieux et du grotesque, avaient leur raison d'être dans ces temps où l'on croyait à l'apparition des esprits, à l'existence des sorciers, des génies et des fées, où le retour fréquent des famines et des épidémies entretenait dans les imaginations l'idée terrible de la mort. La plupart des monuments sur lesquels on voyait autrefois des Danses des Morts ont été détruits.
La litre
Lorsque mourait le seigneur du village, du XVIe siècle à la Révolution, on décorait l'église avec une large bande peinte en noir sur laquelle on ajoutait les armoiries du personnage: la litre. On en trouve encore en place dans certaines églises. Cela se pratiquait aussi dans les cathédrales à la mort de l'évêque. Les blasons de plusieurs personnages peuvent se superposer. Parfois le blason seul a été conservé en la bande noire effacée. Ailleurs c'est le contraire, à la Révolution le blason a été gratté, mais la bande noire subsiste qui a servi à des compagnons pour laisser des traces de leur passage.
Les Seigneurs jouissaient même après leur mort du droit de Litres.
Le mot "litre" étant employé pour listre, ancienne orthographe de liste. Ce droit subsista jusqu'en 1790.
Longtemps ils eurent le privilège d'être enterrés dans le coeur des églises, où leur tombeau était orné de statues et garni d'épitaphes, dont le nombre et la valeur des uns et des autres étaient en rapport avec ce qu'avait été leur générosité pendant leur vie à l'égard de l'Eglise.
Cette dernière portait longtemps les indices du deuil : un bande noire décorée de ses armoiries était peinte autour de l'église, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.
Les porteurs
Longtemps, le respect pour les morts fit porter les corps des décédés, comme les reliques des saints, sur les épaules des personnes considérables ou des clercs.
On voit les fils de saint Louis porter la bière, et une vieille tapisserie de Bayeux nous montre des clercs court vêtus, à cause des difficultés du chemin sans doute, portant un corps princier au temps de Guillaume le Conquérant. Les uns tiennent la bière, les autres psalmodient.
Les chargeurs de sel de Paris (hannouars), (une profession que j'aurais pu exercer, pour ne pas manquer de sel!) qui formaient une corporation fort estimée, avaient le privilège de porter le corps des rois de Notre-Dame à mi chemin de Saint Denis, à la Croix-aux-Fiens, où les moines de l’abbaye le reprenaient pour le conduire à la basilique.
Les chargeurs de sel avaient droit à un honoraire royal qui donna lieu à d’illustres et tristes débats, puisque Charles VII le Victorieux fut déposé par eux sur le chemin, jusqu’à ce qu’on leur remit dix livres parisis en plus du prix convenu. Tout augmente.
Le char moins chrétien fut introduit au XVII siècle, il devint une machine solennelle, une sorte d’apothéose ; Louis XIV eut un char. Précédemment, on l’avait employé parfois, mais pour des voyages trop longs, avec des chevaux caparaçonnés en noir.
Quoi qu’il en soit, le sacrifice de porter soi-même son père, son frère, son ami, le membre de sa confrérie, était considéré comme une prière, que remplacent mal les simples porteurs de cordons.
On a vu de véritables émeutes dans des villes du Midi, quand on voulut rendre les corbillards obligatoires et priver les morts de l’honneur d’être portés par des amis. On arrachait le corps de force de la voiture, et on le rendait aux siens ; le corbillard dépossédé suivait piteusement la pieuse émeute victorieuse.
Les sonneurs
Ils accompagnaient le convoi et annonçaient la prière aux fidèles. Dans la tapisserie de Bayeux, on remarque près du corps, des personnages inférieurs ; leur taille signale leur état social moindre. Ce sont les pulsatores, les sonneurs des morts et crieurs aux voix puissantes.
Cette profession, qui n’occupait pas tous les jours, s’exerçait la veille et l’avant-veille des convois, pour annoncer les trépas, réclamer des prières, dire au public l’heure des obsèques. C’était le billet de faire-part vivant. Ils formaient une corporation qui se chargeait de toutes choses relatives aux funérailles.
Ce ne fut qu’au milieu du XVII siècle que des billets de faire-part imprimés remplacèrent les sonneurs, conservant encore, au bas du texte, le cri de ceux-ci : Priez pour lui !
Ces billets ont été d’abord des affiches à la porte de l’église, puis furent portés à domicile par les crieurs ou sonneurs, vêtus pour l’emploi, et par la suite par le facteur.
Autrefois, la prière pour les pauvres âmes se demandait, non seulement par les sonneurs chargés de crier le passage d’un chrétien à une autre vie, mais encore d’une manière générale par les crieurs ordinaires, chargés de veiller sur la cité et de rassurer les habitants en leur disant l’heure.
Parfois, ils criaient : « Gens qui dormez, réveillez-vous et priez pour les trépassés ! ».
La fosse
La fosse était ouverte par les clercs, comme le montre une miniature du XV siècle (bréviaire de Grimani). On y voit le manteau noir de deuil qui apparut au XIV siècle, époque où on porta le deuil en noir. Ce manteau à capuchon se raccourcit sous Louis XIII et devint une sorte de pèlerine.
Les grands avaient un tombeau creusé dans la pierre ; il n’était point facile d’agrandir ce sarcophage qui, était destiné à être enterré, n’avait pas l’ampleur des sarcophages antiques.
C’est la cause de la mésaventure de Guillaume le Conquérant : on le pressa, on l’écrasa pour le faire pénétrer, le corps se rompit et une putréfaction épouvantable se répandit, si bien que tous les assistants se sauvèrent.
Seul, les prêtres restèrent et continuèrent la pénible besogne.
Ce récit d’Ordéric Vtal se trouve corroboré par un témoignage postérieur de quatre siècles.
Quand les protestants violèrent, en 1562, le tombeau du roi, on s’aperçut, à la position du corps, qu’on l’avait écrasé pour le faire tenir et pour pouvoir poser au-dessus l’image en pierre.
Images en pierre
L’imagerie de pierre naquit des tombeaux au XIe siècle.
Les imagiers formaient un nouveau métier ; ils gravaient la figure du mort sur la pierre tombale.
Ces images sur lesquelles on marchait, qui obligeaient les parents à se souvenir de ce visage qui quêtait l’aumône de leurs prières, eurent, en outre, sur l’art français, une véritable influence, et de merveilleuses pierres tumulaires (photographies avant le lettre) témoignent de l’habileté des artistes.
Cela dans les funérailles était durable, et ces imagiers ont vraiment travaillé pour la postérité. Les monuments des cimetières, qu’on ne voit que très rarement n’appellent pas autant à la prière que ces fgures couchées sur le seuil des églises.
Lanterne des morts
Construites pour la plupart aux environs du XIIe siècle, on pense que ces petites tours creuses, surmontées d'un pavillon ajouré et dans lequel on hissait au crépuscule une lampe allumée, jouaient le rôle d'une sorte de phare destiné à guider les âmes des disparus vers le repos éternel. D'autant plus qu'on ne les retrouve pratiquement qu'aux abords des cimetières, bien que certains aient pu disparaître au fil du temps. La présence d'une lanterne, si elle n'a pas été déplacée, peut matérialiser alors l'emplacement d'un ancien lieu de sépulture aujourd'hui oublié.
Survivance d'un rite religieux d'origine celte, on pensait aussi que la lumière protectrice dégagée de ces lieux durant la nuit, pouvait retenir la mort et l'empêcher d'aller rôder faire de nouvelles victimes. Ceci notamment en période d'épidémie où la flamme du lampier pouvait également servir à alimenter en feu les foyers, évitant ainsi un contact inutile entre les villageois qui aurait pu leur être fatal.
Le corbillard
L’origine de ce nom est peu connue. Le corbeillac était un bateau coche faisant lentement le service de Paris à Corbeil, d’où son nom. Il descendait le courant, aidé du vent, et remontait tiré par des chevaux.
Ce bateau était rempli de gens et de bagages, et une gravure du temps d’Henri IV par Sweling, nous en donne son portrait véridique.
L’existence des chevaux pour remonter n’est pas douteuse d’après ces vers du ballet le corbillas (1632) qui avait des parties récitées.
C’est le charretier qui dit :
Il n’est plus temps de différer
Mes chevaux et tout l’attelage
Sont de l’autre part du rivage
Le corbillas va démarrer.
Le nom était devenu corbillas et sur la gravure il est corbillac.
Déjà, en 1632, les carrosses plus rapides, malgré les cahots, faisaient concurrence au pauvre corbillac, car, en la même pièce, la maîtresse dit :
Ma pratique se perd et désormay je voy
Ne va que pour les femmes grosses.
Cette disgrâce vient du nombre des carrosses
N’en est-il point de vous qui s’en plaigne avec moy ?
Ce bateau, le corbillac, rempli de gens, donna son nom à d’énormes voitures, les joyeux corbillards, qui empilaient également des familles entières et servaient plus souvent, chose étrange, à conduire des noces aux champs, bien qu’un dictionnaire ait voulu que ces grands corbillards puisent leur nom dans le mot corbeille.
Hamilton dit dans ses mémoires : « Trois grands corbillards comblés de laquais, grands comme des suisses et chamarrés de livrées tranchantes parurent dans la cour et débarquèrent toute la noce. »
Le corbillard d’eau de Corbeil fonctionnait encore à la fin du règne de Louis XIV, alors que Furetière appelle corbillard « un carrosse bourgeois où l’on voit plusieurs personnes pressées. »
Quand on fit un char d’honneur, vaste et large, aux morts, il fut proclamé corbillard.
Voilà la transformation définitive. Les morts ont mis les vivants dehors, car les noces ne fréquentent plus les corbillards.
Le croque-mort
La recherche dans les textes en vieux français, permet de trouver l'origine du mot croque-mort.
Ancien temps, pour s'assurer qu'une personne était bien décédée, l'usage voulait que la personne en charge de cette vérification, le croque-mort donc, mordait violemment un des doigts de pied de la victime (en général le gros orteil ou parfois le talon)… si rien ne se passait, l'issue était fatale et la mise en terre inéluctable.
C'est donc de là que vient cette expression : croquer le mort.
Cette fonction de croque-mort, qui était en fait une vraie charge, se transmettait de père en fils depuis la nuit des temps.
Or il arriva une première catastrophe : le dernier croque-mort, bien qu'ayant eu de nombreux enfants, n'eut aucun garçon. Sa fille aînée reprit donc sa charge, après réunion et aval favorable du conseil des sages compétent dans ce type de question.
Et seconde catastrophe, la première victime qu'elle eut à traiter avait une grave maladie, qui l'avait conduite à être amputée des deux pieds. Pire encore, la gangrène l'avait en partie gagnée et on lui avait coupée les deux jambes jusqu'à hauteur des cuisses.
La jeune fille examina la situation et mordit donc avec précaution le premier membre inférieur qu'elle put trouver.
Ce fut à cette époque et dans ces circonstances, très précisément, qu'on passa de l'expression " croque-mort " à " pompe funèbre ". Quelle évolution de la langue !
" Le métier de croque-mort n'a aucun avenir. Les clients ne sont pas fidèles. " (Léon Paul Fargue)
On ne parle plus de croque-mort à propos de celui qui mordait le pouce du pied du mort pour s'assurer que le pauvre malheureux avait bien avalé son acte de naissance ! mais de « thanatothérapeute » : celui qui soigne les morts.
Pour terminer sur une note plus gaie, deux réflexions humoristiques !
« Le ciel ! Quel dommage qu'on ne puisse y aller qu'en corbillard » (Stanislav Jerzy Lec)
Sur le mur d'un cimetière j'ai lu :
« Défense de déposer des ordures ». Pourtant, aucun corbillard ne fait jamais demi-tour ! (Pierre Doris)
Et les paroles de la chanson : « Les funérailles d'antan », de Georges Brassens, que je n’ai pu m’empêcher de fredonner, en faisant des recherches pour écrire ce post.
"Jadis, les parents des morts vous mettaient dans le bain
De bonne grâce ils en f'saient profiter les copains
Y a un mort à la maison, si le cœur vous en dit
Venez l'pleurer avec nous sur le coup de midi...
Mais les vivants aujourd'hui n'sont plus si généreux
Quand ils possèdent un mort ils le gardent pour eux
C'est la raison pour laquell', depuis quelques années
Des tas d'enterrements vous passent sous le nez
Mais où sont les funéraill's d'antan ?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r'verra plus
Et c'est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans
Maintenant, les corbillards à tombeau grand ouvert
Emportent les trépassés jusqu'au diable vauvert
Les malheureux n'ont mêm' plus le plaisir enfantin
D'voir leurs héritiers marron marcher dans le crottin
L'autre semain' des salauds, à cent quarante à l'heur'
Vers un cimetièr' minable emportaient un des leurs
Quand, sur un arbre en bois dur, ils se sont aplatis
On s'aperçut qu'le mort avait fait des petits
Mais où sont les funéraill's d'antan ?
Les petits corbillards, corbillards, corbillards, corbillards
De nos grands-pères
Qui suivaient la route en cahotant
Les petits macchabées, macchabées, macchabées, macchabées
Ronds et prospères
Quand les héritiers étaient contents
Au fossoyeur, au croqu'-mort, au curé, aux chevaux même
Ils payaient un verre
Elles sont révolues
Elles ont fait leur temps
Les belles pom, pom, pom, pom, pom, pompes funèbres
On ne les r'verra plus
Et c'est bien attristant
Les belles pompes funèbres de nos vingt ans
Plutôt qu'd'avoir des obsèqu's manquant de fioritur's
J'aim'rais mieux, tout compte fait, m'passer de sépultur'
J'aim'rais mieux mourir dans l'eau, dans le feu, n'importe où
Et même, à la grand' rigueur, ne pas mourir du tout
O, que renaisse le temps des morts bouffis d'orgueil
L'époque des m'as-tu-vu-dans-mon-joli-cercueil
Où, quitte à tout dépenser jusqu'au dernier écu
Les gens avaient à cœur d'mourir plus haut qu'leur cul
Les gens avaient à cœur de mourir plus haut que leur cul"